L'enfance au jardin de Roseline Giorgis
Le jardin de mon enfance,
Il était là Depuis la nuit des temps, avec ses règles, ses rythmes, sa générosité, ses invités et j’y étais accueillie comme une princesse dans son royaume.
C’est Giovanni, qui en était le chef d’orchestre, l’eau gravitait suivant ses volontés ici où là pour atteindre l’ensemble du parc. Il décidait de tout à partir du bassin de la source tant pour les partitions savantes et frisées de salades et herbettes que des les alignements de poireaux. Il choisissait aussi les palettes de couleurs de l’année, favorisant les pâquerettes ici et les nigelles ailleurs. Pour la ponctuation, j’avais toute liberté avec mon plantoir d’inviter ici un tournesol, là un liseron ou encore les choux d’ornement en le suivant le soir lors de l’arrosage, je me rendais utile portant la récolte jusqu’à la cuisine, ramassais les cailloux dans les petits seaux de plage tout en jouant avec les grenouilles, les chats et le tourbillon de l’eau boueuse.
Vers 6 ans, il finit par m’offrir un carré pour installer mes plantes préférées, sans doute aussi pour avoir la paix. Près du bassin, au nombril du jardin, proche de toutes les activités, mon jardin secret prit naissance sous la surveillance bienveillante de mes pères. Tout contre le muret de pierre sèche, l’entrée du carré des soupes était masquée par un seringua aux longs rameaux souples et un buisson de lilas blanc coupait le vent du Nord. Celles que je privilégiais étaient assemblées Les violettes et les menthes faisaient leur vie ensemble, dans tous les coins oubliés, les basilics dressaient fièrement les touffes de leurs feuillages, rivalisant de parfum, tous mes élus sentaient fort ! Les odeurs parlaient à mon cœur d’enfant, donnaient des frissons, mettaient l’eau à la bouche, surprenaient en chatouillant les papilles jusqu’à éternuer, et aux quatre coins trônaient les reines de mon jeux une pivoine énorme, un anneau circulaire d’iris, un pied de Jasmin, et de capiteuses tubéreuses mêlées de lis.
Je n’oublierai jamais la joie de sentir les jacinthes, avant de les voir, ou la surprise des fleurs de l’ail, si belles, si dominatrices. Je n’avais pas de lavandes ni de roses, C’était l’affaire de mon père qui dans son pré carré dessiné par des bordures de lavandes recherchait des senteurs de roses. J’étais bienheureuse, concoctant des mélanges odorants de feuilles que je broyais avec du sable, parfois goûtant l’amertume d’un pissenlit avec délectation, j’allais de découverte en découverte.
Sur une planche de madrier bien calé s’alignaient mes bols et un mortier en pierre. Quand un mélange retenait mon attention, je partais me promener pour grappiller les touches finales de la soupe, bien souvent avec des pétales de roses, puis venais l’heure de la dégustation au bord du bassin, ou j’attendais le retour de mes compères jardiniers. Pour le patriarche, ces jeux d’enfants n’avaient guère d’importance, ce qui le préoccupait d’avantage était de me transmettre comment cueillir sans blesser les plantes, et quand récolter. Lesquelles macéraient dans l’eau nécessitant de l’huile ou du saindoux. Parfois le soleil ne suffisait pas, je confiais alors ma soupe à la cuisine pour une décoction.
Avec mon père, une toute autre émotion animait ce rendez-vous, car il était parfumeur, chez Bertrand-Frères producteur des matières premières pour Guerlain, et ce qu’il ressentait dans mes soupes enfantines l’étonnait visiblement. Il se penchait sur mes écuelles, remuait les « taraillettes » de mes dînettes de poupées délicatement, les alignait à son goût, prenait sa préférée en main pour demander ma recette faisant de nous des complices. Il a ainsi stimulé mon goût de la recherche. Il était si heureux de mes soupes, ce n’est qu’aujourd’hui que je peux apprécier le rapprochement, lui composait « ses jus »... pour Guerlain.
Comments